Le 23 juillet 2025, la résidence de l’Ambassadeur d’Espagne à Kinshasa baignait dans une ambiance presque solennelle. Les fauteuils se remplissaient lentement. Diplomates en costume sombre, militantes aux foulards colorés, journalistes, membres du gouvernement, acteurs de la société civile… Tous étaient venus pour un moment qui, au fond, n’avait rien de mondain.
Sur l’écran, un film. Pas n’importe lequel. « Semilas du Kivu », œuvre du réalisateur espagnol Nestor Lopez. Déjà couronné du prix Goya 2025 du meilleur court-métrage documentaire, il porte désormais l’espoir d’un Oscar. Trente minutes pour raconter l’horreur : celle des violences sexuelles liées au conflit dans l’Est de la RDC.

Le titre intrigue. Semilas signifie « semence » en espagnol. Lopez raconte : « Ce sont les semences que ces bourreaux laissent aux femmes. Mais elles, au lieu de les rejeter, choisissent de les élever et d’y transmettre leur amour ». Un mot simple, une métaphore qui blesse et qui répare à la fois. On sent l’assistance retenir son souffle.
L’Ambassadrice d’Espagne ouvre la soirée. Elle parle doucement, mais chaque mot semble pesé : « Face à nos sœurs violées, ne réagissons pas par la honte, mais par l’amour ». Il y a un murmure d’assentiment, comme si l’assemblée reconnaissait que l’amour est une résistance, presque un acte politique.
Puis, la Ministre du Genre, Léonie Kandolo Omoyi, se lève. Elle ne lit pas un discours, elle livre une blessure : « On a tué une partie du Congo, du Kivu. Une partie de moi est morte. Une partie de vous aussi. » Sa voix se brise, mais elle reprend : « Ne restez pas dans l’ombre. Foncez. Si vous ne vous engagez pas, d’autres décideront pour vous. Et leurs décisions seront contre vous. Parce que tout ce qu’on ne fait pas avec les femmes, on le fait contre elles. »
Dans l’assistance, certaines femmes baissent les yeux. D’autres hochent la tête ou détournent de temps en temps le regard pour ne pas affronter la dureté des images ou le cinglant poignard des récits.

Julienne Lusenge, militante de longue date, prend à son tour le micro. Elle rappelle que ces violences ne s’arrêtent pas aux victimes directes : « Quand une mère est violée devant ses petits garçons, c’est toute leur vision du monde qui se fissure. Les cicatrices sont invisibles, mais elles sont profondes ». Le silence qui suit est lourd.
Et pourtant, au milieu de cette douleur, il y a une étincelle. Celle qui dit que même dans les ruines, on peut bâtir. Que dans les voix qui s’élèvent, il y a déjà un chemin de retour vers la dignité.
Ce soir-là, ils étaient plus d’une centaine à écouter, à s’indigner, à promettre d’agir. La mélancolie flottait, comme une brume qui refuse de se dissiper. Mais dessous, il y avait la résilience, cette force silencieuse qui, à défaut d’effacer les blessures, apprend à marcher avec elles. Parce qu’en RDC, ces viols ne sont pas de simples crimes. Ce sont des armes de guerre. Et les combattre, c’est défendre l’âme même de notre humanité. Face à l’indicible douleur, elle nous apprend à faire face et à agir pour que cesse l’horreur. Pour que la dignité restaurée, revête à nouveau sa robe de majesté.
Par David Mpongo