Il y a des histoires qui s’accrochent à la mémoire comme une ombre. Celle de Sarah, jeune femme de Kinshasa, arrachée trop tôt à la vie, est de celles qui se murmurent avec un mélange de douleur et d’incompréhension.
Quelques mois à peine après son mariage, la promesse d’un avenir partagé s’est fissurée. Son mari, autrefois son complice, lui a tourné le dos en introduisant une autre femme dans sa vie. Dans ce foyer, là où elle aurait dû trouver chaleur et soutien, Sarah n’a récolté que le silence et le rejet. Alors, la solitude s’est installée. La dépression a pris de l’ascendant sur son morale, lui inoculant sournoisement le venin du désespoir.
Un soir, Sarah, à bout et sans soutien psychologique, s’est convaincue qu’elle ne trouverait de répit que dans la mort. Avant de poser le geste funeste, elle avait pris le temps de parler au monde, par une vidéo bouleversante, où elle y expliquait larmes aux yeux, la source de ses déboires.
Des chiffres derrière les silences
L’histoire de Sarah ne surgit pas dans le vide. En RDC, la détresse psychologique des femmes est une réalité sourde, trop souvent ignorée. À Kinshasa, entre 15 et 71 % des femmes déclarent avoir subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire. Un fardeau qui alimente anxiété, isolement et perte de repères. Dans les hôpitaux, 22 % des patientes présentent des troubles de l’anxiété, et jusqu’à 23 % des troubles de l’humeur et du comportement qui se répercutent sur leurs enfants.
À l’Est du pays, où les conflits déchirent encore les vies, la douleur prend d’autres visages : plus d’un tiers des déplacés portent des symptômes dépressifs ou post-traumatiques. Dans le Nord-Kivu, les humanitaires rapportent un chiffre glaçant : en quelques mois, le nombre de femmes déplacées de guerre exprimant des idées suicidaires est passé de 5 à plus de 120 par mois. Des cris silencieux, étouffés dans l’indifférence.
Un pays mentalement à bout
Face à cette vague de souffrance, les réponses restent fragiles. Moins de 0,1 % du budget national de la santé est consacré à la santé mentale. Dans un pays de près de 100 millions d’habitants, on compte à peine une centaine de professionnels formés. A l’hôpital neuropsychiatrique Saint-Vincent de Paul à Goma, des ONG offrent des consultations gratuites. Mais cela ressemble davantage à une goutte d’eau dans l’océan qu’à une solution durable. En 2023, le Ministère de la Santé Publique choquait les esprits, en annonçant que suivant ses estimations, 20 millions de personnes, soit un congolais sur cinq souffre de problèmes de santé mentale.
Sarah n’était pas une donnée à insérer dans un rapport. Elle était une femme blessée, une épouse incomprise, une mère aimante. Pourtant, après sa mort, la cruauté n’a pas cessé. Sa vidéo, a circulé sur les réseaux sociaux et a été tournée en dérision.
« On ne meurt pas pour un homme », écrivaient certains. Les réactions d’une société où la douleur intérieure est encore minimisée, moquée, effacée.
Elle laisse derrière elle, une petite fille désormais orpheline, qui grandira dans l’ombre d’un geste que l’on aurait pu éviter. Et si rien ne change, elle portera aussi le poids des jugements et des stigmates.
À toi qui lis ces mots
La dépression ne devrait jamais mener à la solitude.
Et pourtant, l’histoire de Sarah rappelle à quel point l’absence de soutien, les tabous et la stigmatisation ouvrent la voie à l’irréparable.
À toi qui parcours ces lignes, puisse ton cœur se détourner des mariages toxiques. Mais surtout, puisse-t-il s’ouvrir à la compassion, à la solidarité et à la responsabilité. Pour que d’autres femmes ne s’enfoncent pas seules dans la nuit de l’oubli et du désespoir.
Que la mémoire de Sarah, et les yeux de sa fille qui chercheront un jour à comprendre, nous rappellent l’urgence d’agir pour la santé mentale des femmes en RDC.