Il est 18 h 15. Élysée pousse son chariot dans les allées d’un supermarché du centre de Kinshasa. Elle est à la recherche d’un petit plaisir qu’elle s’offre chaque fin de mois : un fromage de Goma, une petite merveille au goût travaillé avec soin. Mais ce soir-là, le rayon est vide. D’une voix rude, une dame lui annonce une rupture du stock, faute d’approvisionnement régulier depuis la chute de la ville entre les mains des rebelles du M23 fin janvier.
Ce n’est pas la première fois. Ni pour le fromage de Goma, ni pour les huiles de Béni, le miel de l’Ituri, les haricots bio de Kalehe ou le cacao du Sud-Kivu. Élysée soupire, le cœur serré. Car derrière ces denrées indisponibles se dévoilent des récits poignants. Ceux de routes de desserte devenues impraticables. De champs transformés en zone de guerre. De coopératives à l’arrêt ou d’éléments de la Nature déchainés.
À chaque rayon vide ou irrégulièrement garni, c’est une histoire de survie qui se joue dans les collines blessées du Kivu. De durs jours de labeur au Kwilu réduits à zéro par une pluie torrentielle ou des contrées verdoyantes où le poids des traditions joue leur partition.
Au cœur d’un pays aux mille douleurs, les femmes rurales continuent de faire tenir debout ce que l’État, le marché et parfois même la nature semblent avoir abandonné. De ce qui tombe dans nos assiettes, issues de nos terres dont on ne cesse d’en vanter la fertilité dans les salons huppés et les statistiques, elles représentent 70 % de la main-d’œuvre agricole selon Madame Berinyuy NDI Martina de la Section Genre de la MONUSCO.
Mais combien d’entre elles possèdent un bout de terre à leur nom ? Combien ont eu accès à un crédit bancaire, une formation ou même un simple conseil ? La réponse glace le sang : presque aucune. Parce qu’elles sont femmes. Parce que nombreuses n’ont pas eu la chance de naitre dans les grands centres urbains. Et surtout, parce qu’au-delà de la pauvreté, elles affrontent chaque jour de multiples murs invisibles qui les enferment dans un rôle de servitude.
Le 28 avril 2025, à Kinshasa, une rencontre sous l’égide de la MONUSCO et d’autres agences des Nations Unies, a mis leur combat au centre. Des récits poignants ont exposé la dure réalité de mères qui nourrissent des millions d’âmes des mégalopoles congolaises sans jamais manger à leur faim. De filles empêchées d’hériter, d’investir, de rêver.
Autour de la table, des expertes comme Marie Kouelé Gala, Isabelle Brungard ou Julie Pépinat ont martelé cette vérité brutale avec en plus, un avertissement : celui de l’impossibilité de bâtir la paix, la sécurité alimentaire, ni même l’économie de demain sans ces femmes. Et pourtant, les politiques publiques les marginalisent. Les banques les ignorent. Le climat dont elles sont pourtant les meilleures gardiennes d’écosystèmes mis à rude épreuve les trahit. Les traditions elles, souvent, les musèlent.

La relance du RENAPER, ce réseau d’organisations de femmes rurales, est un premier pas. Mais un pas ne fait pas un chemin. Il faut marcher avec elles. Bâtir avec elles. Elles ne demandent pas la charité. Elles exigent la justice, l’équité, l’accès aux ressources, à la parole et à la reconnaissance. Elles le méritent.