Dans les ruelles animées de Kinshasa, au milieu des klaxons, de la chaleur et des embouteillages à n’en pas finir, le commun des mortels s’attable dans des petits restaurants de fortune (malewa), où se mêlent odeurs épicées de nombreux plats prisés dans nos milieux familiaux. C’est dans ces instants passagers de communion entre nos assiettes et nos estomacs que le danger guette sans qu’on s’en rende souvent compte.
Un matin, une amie, après un long cours à l’Université, s’est arrêtée dans l’un de ses lieux et s’est affairée à déguster ses mets préférés. Quelques heures plus tard, de retour à la maison, elle vomissait, les mains moites, les larmes prêtes à éclore. Autour d’elle, on criait aussitôt : « Elle a été empoisonnée ! ».
Les esprits se sont rapidement orientés vers le film de ses dernières interactions, de ce repas, partagé avec des condisciples de l’Université, analysant les intentions cachées et la malice invisible. Dans la suspicion et le doute, elle avala un antibiotique, puis un antidiarrhéique, sans savoir si elle en avait vraiment besoin. Je vous laisse imaginer la suite. Si elle avait attendu un jour de plus, les dégâts auraient été irréversibles.
Au-delà de cet épisode qui pour la famille de notre amie ressemblait en tout point au dernier repas du Christ avant son supplice, les révélations qui suivirent après examen révélèrent quelque chose de simplement banal : l’eau. Ce fluide que nous tarissons de bien des éloges, mais que nous oublions parfois de simplement bouillir. Des quartiers entiers de Kinshasa n’ont pas d’eau potable : les citernes, les puits, l’eau vendue en sachet y ont concentré ce que la Nature a fait de mieux en matière d’infections et de contamination microbienne.
Si l’irréparable était arrivé, et qu’un communiqué invitait les Sisters à venir participer au trépas de cette amie si proche, ce n’aurait été que le « poison », le seul et unique bouc émissaire qui aurait porté le poids de la faute, alors que l’eau, insoupçonnée et innocente, se serait délectée d’emplir les corps des personnes participant au deuil, à la recherche d’un autre organisme moins résistant et allergique à fragiliser.
Automédication : l’arme douce… mais souvent pernicieuse
En RDC, l’automédication est une solution confortable, presque un geste d’amour. On soulage vite, sans réfléchir. Mais trop souvent, cette « douce négligence » fragilise plus qu’elle ne guérit. Prendre ce qui est à portée de main : antalgique, antibiotique, anti-inflammatoire en l’absence de diagnostic, c’est tracer une ligne rouge. Les reins fatiguent, le foie se crispe, et la maladie, elle, se complexifie.
Une enquête menée aux Cliniques Universitaires de Kinshasa montre qu’un patient sur deux arrive aux urgences déjà marquées par plusieurs comprimés… trop souvent inappropriés. C’est cette inadéquation qui retarde la vraie prise en charge, fragilise et, parfois, fais perdre des vies.
Chères sœurs, dans notre ville si animée, entre les malewas et une eau douteuse, nous avons le choix de devoir nous prémunir. Ce n’est pas manquer de courage que de dire stop à l’automédication systématique ou de détourner le regard des bassines qui vous nourrissent à petits prix. C’est choisir la vie, c’est protéger les nôtres.
Quand la peur frappe, ne laissons pas notre première réponse être une pilule avalée à la hâte. Écoutons le corps, observons, et recourons à la science quand il le faut. L’intoxication suscitée par la résistance de notre organisme à certains plats n’est pas forcément le résultat d’une quelconque malice, mais trop souvent, les conséquences de notre refus de confier à la science, le soin de nous guider vers le bien-être.
Nous sommes, chacune, gardienne du corps que la RDC nous a prêté.