Le 17 août 2025, la nouvelle est tombée comme un coup de tonnerre. Un véhicule revenant de Lume, sur la route Beni–Kasindi, a quitté la chaussée à hauteur de Balombi. Le bilan est lourd : six jeunes joueuses du Football Club Féminin Gillette et leur chauffeur ont perdu la vie. Parmi elles, l’entraîneuse Sisca Kombi, figure respectée du football féminin dans la région. Les images du minibus accidenté ont circulé rapidement, plongeant familles, coéquipières et toute la communauté sportive du Nord-Kivu dans la peine.
Dès le lendemain, les corps ont été conduits à la morgue de Bulongo. Dans un silence pesant, familles et proches se sont rassemblés pour la levée des corps, veillées, chants et prières. Dans un contexte où le football féminin peine déjà à trouver sa place, la perte de ces athlètes a pris une dimension symbolique : ce sont non seulement des filles, des sœurs, des mères que l’on a pleurées, mais aussi des ambassadrices qui représentaient un rêve collectif, celui d’un sport qui libère et rassemble.

Mais au-delà du chagrin, les cérémonies ont rouvert une question délicate, rarement discutée publiquement : celle des rôles imposés aux femmes lors des funérailles.
Quand la coutume encadre le deuil
Dans le Nord-Kivu, comme dans de nombreuses régions de la RDC, les rites funéraires sont fortement codifiés. Qui transporte le cercueil ? Qui descend le corps en terre ? Qui organise les lamentations ou prend la parole ? Chaque geste est chargé de symboles et répond à des règles transmises de génération en génération. Traditionnellement, certaines tâches sont réservées aux hommes. Transporter le cercueil ou manier la pelle au cimetière relève de ce qu’on appelle un rôle «masculin». Les femmes, elles, sont souvent affectées à d’autres fonctions : la veillée, le chant, les pleurs et la cuisson.
D’où la question qui a ressurgi au cœur des funérailles des joueuses du Football Club Gillette : s’agit-il de protéger des croyances anciennes, ou bien d’une forme de discrimination qui prive les femmes de gestes symboliques puissants dans l’ultime hommage rendu à leurs proches ?
Sur les réseaux sociaux, les avis se sont multipliés. Certaines voix ont dénoncé l’exclusion des femmes de certaines étapes du cortège funéraire, au motif de la tradition. D’autres ont rappelé que dans un moment de deuil, l’essentiel est de préserver l’unité et la dignité, et que les familles doivent pouvoir décider librement.
Le débat n’est pas nouveau : dans plusieurs familles au Nord-Kivu, surtout suite à l’insécurité et le lot de morts qu’elle engendre dans son sillage, on voit un repositionnement des rituels, où des filles portent le cercueil, ou accompagnent leurs proches jusque dans la fosse. Ces gestes sont parfois vécus comme une rupture, mais aussi comme une reconnaissance du rôle que jouent les femmes dans la vie publique et familiale.
Les obsèques des joueuses de Beni se sont donc transformées en miroir d’une société où coutume et modernité se font face.
Les jeunes femmes du FCF Gillette incarnaient déjà un dépassement des frontières de genre en osant s’imposer dans un sport historiquement masculin. Leur départ tragique a ouvert la voie à une réflexion sur la place des femmes, non seulement sur le terrain, mais aussi dans les moments les plus intimes et symboliques de nos vies communautaires, comme les funérailles.
La tradition n’est pas figée. Pendant les épidémies d’Ebola, on a vu des communautés très conservatrices dans l’Est, adapter leurs pratiques pour protéger la santé publique tout en préservant le sens des rites funéraires. Pourquoi ne pas imaginer la même dynamique autour des obsèques, afin de concilier respect de la coutume et la dignité des femmes ?
Car, en définitive, qu’il s’agisse du terrain de football ou du chemin vers la dernière demeure, ce que ces jeunes femmes nous laissent en héritage, c’est la possibilité de bâtir une société où les coutumes restent vivantes, mais où elles n’excluent personne de l’hommage et de la dignité.