Une femme est comme un canard peureux.
C’était la phrase qu’on lui avait jetée au visage lors d’un exercice de terrain, devant toute l’unité alors qu’elle avait demandé à être dispensée d’un exercice suite à des règles douloureuses. Le rire des camarades résonnait encore dans ses oreilles ce soir-là. Rose, jeune recrue au sein d’une brigade avait serré les dents et était frustrée. Malgré sa passion et sa volonté de servir, elle se demandait si son propre corps lui rappelait, parfois avec douleur qu’elle était avant tout une femme. Une autre recrue avait même indélicatement jasé en lui demandant de se maquiller. Une blague qu’elle a très mal prise et qui la rongeait à chaque fois que leurs regards se croisaient.
Le baptême du feu
Quelques semaines après, son bataillon a été envoyé en opération dans une zone minée par des attaques répétées de rebelles islamistes. Ce jour-là, Rose et trois autres femmes soldats faisaient partie du détachement. Pour beaucoup, leur présence n’était qu’une formalité : « Ces PMF. Elles viendront soigner les blessés, porter les radios et nous préparer de la nourriture », glissaient certains. Mais quand l’embuscade a éclaté, la réalité a balayé les préjugés.
Une pluie de balles s’est abattue sur le convoi qui fut pris de court. Pris de panique, plusieurs soldats se sont dispersés, cherchant un abri. C’est Rose qui, la première, a crié les ordres, ramenant ses camarades à la cohésion. Elle a guidé un groupe jusqu’à un talus, organisé la riposte et coordonné le tir de couverture. La bataille a duré de longues minutes, jusqu’à ce que les assaillants, surpris par cette riposte organisée, se replient, laissant derrière eux plusieurs morts et deux prisonniers capturés vivants.
À l’issue de la bataille, le Commandant de l’unité fait le bilan et contacte ses supérieurs par radio. Pas un mot pour Rose dont le geste permit pourtant d’organiser la riposte. Les prisonniers sont conduits derrière un arbre pour interrogatoire. L’un d’eux, blessé, mais arrogant, refuse de parler.
« Vous pouvez me tuer », lâcha-t-il, « je mourrai en martyr. ». Il ressemblait à un étranger de par son accent.
Excédé, le commandant finit par ordonner qu’on l’envoie en détention, en attendant l’arrivée des services de renseignement.
Mais juste avant qu’on ne l’emmène, Rose apparait. Elle n’avait pas prévu de participer à l’interrogatoire, mais quelque chose la poussait à tenter une dernière intimidation. Elle s’est avancée lentement, son arme et son corps encore couvert de la poussière du combat. Elle s’est penchée sur le prisonnier et, d’une voix ferme, a lancé :
« Tu crois vraiment que ton paradis t’attend ? Regarde-moi bien. Si tu ne parles pas, c’est moi qui t’achèverai. »
Puis soudain, le prisonnier, qui jusqu’ici se tenait droit, presque fier, a pris peur. Ses yeux se sont écarquillés. Il a pâli. Puis, dans un souffle, il a supplié le commandant :
« Pas elle… pas par une femme… Si elle me tue, mon martyr est vain… je n’irai pas au paradis… »
Les soldats présents se sont regardés, stupéfaits. Certains ont ri, d’autres ont échangé des murmures. Le commandant, lui, a gardé son calme. Il a ordonné que le prisonnier soit ligoté et a consigné dans son rapport ce qu’il venait de découvrir : chez ces rebelles islamistes, être tué par une femme était la pire des humiliations, un obstacle à la promesse de vie éternelle qu’on leur avait vendue.
Quelques semaines plus tard, ce rapport est remonté jusqu’à l’état-major. La bravoure de Rose lors de la bataille, et surtout l’effet psychologique de sa présence los de l’interrogatoire du prisonnier capturé, ont marqué les supérieurs. Lors d’une cérémonie discrète, elle a été promue chef de peloton. Le général de garnison l’a appelée devant les troupes et a déclaré :
« Hier, dans cette caserne, on riait en disant qu’une femme est comme un canard. Aujourd’hui, nous savons qu’une femme soldat peut terrifier l’ennemi plus que n’importe quelle arme. »
À la suite de cet épisode et sur recommandation des services de renseignement, l’état-major a décidé d’intégrer davantage de femmes dans les opérations anti-terroristes. Pour une armée encore largement masculine, c’était une petite révolution.
Rose, elle, n’a pas cherché la gloire. Dans le silence de sa tente, son brassard de chef de peloton accroché, elle pensait à ses camarades tombés au combat ce jour-là. Mais une chose était certaine : plus jamais personne ne rirait d’elle ni ne la prendrait de haut.
L’histoire de Rose n’est pas un cas isolé. En Syrie, face à Daesch, et au Nigéria contre Boko Haram, d’autres combattantes se battent avec la même bravoure face à des hommes qui prétendent incarner la terreur. Leur courage montre que les femmes ont leur place dans les métiers de sécurité, même chez nous où la même menace existe. Ici, plus qu’ailleurs, leur reconnaissance n’est pas seulement une question de justice, mais une arme stratégique pour vaincre l’obscurantisme.