À Kinshasa, ville à la fois chaotique et débordante d’énergie, une jeune femme se fraie un chemin discret dans le tumulte ambiant. Étudiante, marketeuse et écrivaine à ses heures perdues, Bapedi Kanku Victoire conjugue ses journées sur trois fronts : l’université, son travail et la littérature. Elle n’est liée à aucune maison d’édition, n’a pas de mentor littéraire et est encore moins présente dans les cercles culturels mondains. Mais elle écrit. Avec obstination.

Dans les rues de Matete ou de Bandalungwa, personne ne connaît encore son nom. Et pourtant, dans l’intimité de ses cahiers, c’est une génération qu’elle dessine : celle des jeunes Congolaises écartelées entre charge mentale, ambitions personnelles et devoir de performance.
Mais écrire, pour une jeune Congolaise sans réseau ni éditeur, ce n’est pas un destin doré. C’est un luxe. Une lutte quotidienne contre le manque de temps, la fatigue, les responsabilités. Car le jour, elle vend et loue des biens immobiliers. Le soir, elle révise pour l’université. Entre deux obligations, elle grappille quelques minutes pour aligner des phrases. « Je ne peux pas me permettre d’abandonner si tôt », dit-elle. Pas comme une formule. Comme un constat lucide.

Son texte pour le concours Sisterhood est un appel brut, presque intime, à la prise de conscience. Elle y rappelle que les droits des femmes ne sont pas une faveur, mais un acquis à défendre. Le ton est simple, sans posture. Et c’est précisément ce qui frappe. Pas de grandes phrases. Juste des mots justes.
Ce qui impressionne chez Victoire, ce n’est pas seulement son courage, c’est sa stratégie. Elle ne rêve pas de célébrité. Elle veut marquer l’histoire. Devenir une femme d’affaires, une autrice reconnue, un modèle. Pas pour flatter son ego. Pour servir d’exemple. Pour montrer qu’on peut être jeune, congolaise, issue d’un environnement modeste… et écrire son propre destin.
Dans un pays où la jeunesse est souvent condamnée à l’attente, elle prend les devants. Sans bruit. Sans réseau. Sans plan média. Mais avec une détermination rare. Une lucidité sans illusion. Et une plume, une ambition.
Bapedi Kanku n’est pas une héroïne. Elle n’est pas non plus une exception. Elle est le visage discret de toute une génération qui refuse de choisir entre survie et création. Une génération qui écrit parce qu’il faut bien, parfois, poser des mots là où on ne vous écoute pas.